TRIBUNE

Michel Bernard : «Tournant au vent de l’idéologie et de la propagande, les éoliennes s’essoufflent».
Le Figaro, 03/02/2024

Dans un pays qui se targue d’avoir la politique culturelle la mieux dotée par les pouvoirs publics, les protestations contre la destruction des paysages sont rares, regrette l’écrivain, qui dénonce l’implantation d’éoliennes dans nos campagnes.

Ainsi, il s’est trouvé en France 2000 « poètes, poétesses… actrices et acteurs culturels » pour pétitionner contre l’écrivain chargé cette année de parrainer le Printemps des poètes. Cette capacité de mobilisation contre un des leurs (flatteuse désignation inclusive) étonne, alors que dans l’indifférence du monde culturel, ou sa prudente abstention, le développement de l’industrie éolienne fait subir à la France le plus vaste et le plus rapide processus d’enlaidissement qu’elle ait jamais connu.
Toute l’Europe est abîmée à grande échelle, mais dans notre pays, qui se targue d’avoir la politique culturelle la mieux dotée par les pouvoirs publics, qui se réjouit d’entretenir une foule de gens de culture, les protestations de leur part contre la destruction des paysages sont rares. On aurait pu imaginer que le fait de traiter comme quantité négligeable la liberté visuellle des horizons et l’universelle splendeur du ciel aurait indigné écrivains et artistes. Cela n’aurait pas fait reculer les industriels, mais signifié que nous, gens de culture, persistons à considérer la beauté comme une valeur absolue, une donnée du monde non négociable, une raison de vivre essentielle.
Si nous, écrivains et artistes, ne protestons pas contre cette dévastation, qui le fera ?
Nos lecteurs, notre public le font. Habitants des régions sacrifiées, ils expriment leur désaccord et s’organisent pour faire reculer çà et là les projets qui gâcheront leurs plaines, leurs collines, leurs plateaux, leurs rivages.
À peine osent-ils invoquer la beauté de leur pays et l’affection qu’ils lui portent. L’argument fait ricaner.
Alors, ils parlent de la dépréciation de leurs maisons, de l’incompatibilité avec le tourisme et les activités qui lui sont liées, de la décimation des oiseaux, parfois de troubles psychologiques. Ils parlent d’argent, d’économie, de protection de la faune, de santé, des bois et des champs, Je vis dans un de ces départements où pullulent les aérogénérateurs. Des paysages fréquentés depuis l’enfance ont été défigurés. On ne peut plus les traverser sans que l’âme se brise à se rappeler comme était réconfortant, ici, autrefois, ce don gratuit de la vie quotidienne : un regard affectueux sur le pays aimé.
Une éolienne n’est pas laide en soi, mais elle a un rapport avec l’environnement où elle a été dressée. Les plus grands chênes paraissent des nains, de ridicules miniatures dans leur voisinage, une forêt devient une rêche moquette, une rivière se transforme en une rigole. Ce qui dans la nature inspire le sentiment de la grandeur, de la majesté, de la noblesse, de l’éternelle force de la vie.
Tout cela est humilié par des machines. Le malaise éprouvé à traverser ces étendues hérissées n’a pas d’autre origine. C’est un déracinement du regard humain.
Il serait à l’honneur de la France, et conforme à un goût simple et populaire de la beauté, que ce soit dans notre pays que les objections à la destruction des paysages soient les plus fortes. Des gens de tous milieux, de toutes conditions s’élèvent en grand nombre et s’indignent du traitement dégradant infligé à leurs environs. L’Occitanie, qui fut précurseur, n’en veut plus, la Provence et l’Alsace n’en ont jamais voulu, l’Auvergne, l’Île-de-France et l’Aquitaine pas davantage. L’opinion se raidit un peu partout.
Hélas, ces résistances sont inégalement réparties. Ce sont justement les régions les moins riches, où les habitants sont les moins enclins à mener les guérillas juridiques redoutées des promoteurs où le nombre des éoliennes a singulièrement augmenté l’été dernier, comme si l’on se hâtait d’en profiter avant que cela ne coince comme ailleurs. Les préfets, individuellement évalués notamment sur leur capacité à favoriser « la transition énergétique » sur leur territoire, sont les instruments d’une injustice d’État scandaleuse. Ils obéissent, mais beaucoup d’entre eux - j’en fus - sont désolés de contribuer à détruire le charme de leur pays alors qu’ils ont été formés à le défendre.
Le vertige vous vient à songer aux milliards dépensés dans le développement et la promotion d’un mode de production de l’électricité aussi coûteux que peu efficace.
Avec la moitié de l’argent public qu’il a consommé, au lieu de dégrader une terre façonnée par des siècles de soins amoureux des Français, combien de centaines de kilomètres de haies aurait-on reconstituées, combien de cours d’eau nettoyés, combien de centaines de friches industrielles éparses dans la campagne rendues à l’agriculture ou à la vie sauvage ?
Des emplois non délocalisables… les voici !
Les éoliennes tournent au vent de l’idéologie et de la propagande. Elles s’essoufflent. On se demandera peut-être bientôt, devant d’immenses cimetières debout sur l’horizon, toute cette ferraille, ces matériaux irrécupérables dressés dans le ciel, par quelle aberration le XXIe siècle, qui devait corriger les erreurs du productivisme industriel des deux siècles précédents, n’a su que barbouiller la terre d’une disgrâce inédite.

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